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4 mai 2011 3 04 /05 /mai /2011 12:51

 Conférence de Emmanuel Todd du 2 mai 2011 prononcée à l'Institut Français de Budapest

 

 

Emmanuel Todd, né en 1951, est un intellectuel français très présent dans le débat politique et économique français.

"Ses théories tentent d'analyser le fonctionnement et les évolutions de nos sociétés de manière globale. Sa thèse principale est que de nombreux phénomènes socio-politiques et économiques sont générés en fonction de déterminants tels que des facteurs démographiques  des facteurs et anthropologiques:" (Source: wikipedia)

 

 

Préambule: il n'y a pas d'unité européenne

 

Après s'être fait rappeler le sujet de la conférence, Emmanuel Todd annonce que ce qu'il a à dire est plutôt pessimiste. Il mentionne  ensuite son affection pour l'Europe Centrale et la Hongrie en particulier. Ami du fils de l'historien François Fejtö, il avait séjourné dans le pays l'été 1975. C'est un an après ce voyage qu'il écrit son premier livre, La chute finale (1976) où il prédit la chute du système communiste et la décomposition de l'Union Soviétique. Grâce à ce coup de maître, ses analyses sont depuis prises très au sérieux.

 

D'emblée, il témoigne de sa déception sur l'évolution post-communiste des pays d'Europe Centrale et Orientale. Puis, en guise de préambule, il affirme qu'il n'y a pas d'unité européenne du point de vue démographique. Tandis que la France, la Grande Bretagne et les pays scandinaves sont en équilibre démographique (environ 2 enfants par femme), l'Allemagne et la Russie sont dans une dynamique de décroissance de population plus ou moins rapide. Les pays d'Europe centrale, dont la Hongrie, répondent à cette dynamique de décroissance. Le discours de l'unité européenne ne marche donc pas en termes de dynamique démographique.

 

Une double instrumentalisation de l'Europe centrale

 

Rentrant dans le vif du sujet, il se dit déçu et frappé par une double instrumentalisation de l'Europe centrale. Selon lui, partant du constat de la souffrance des anciennes démocraties populaires, le devoir des européens de l'Ouest aurait été de reconnaître une dette morale vis à vis de ces Etats. Mais cela n'a pas été le cas.

 

La première instrumentalisation, exercée par les anglo-saxons, est de nature géopolitique. Par l'extension de l'OTAN en Europe centrale, les USA utilisent des conflits pour diviser l'Europe. Par exemple la guerre d'Irak. Les pays d'Europe centrale sont utilisés comme des pions par les anglo-saxons. Pourtant l'allié américain n'est pas fiable car il veut seulement porter le désordre en Russie. Quand cet objectif est accompli, il ne se soucie absolument pas des pays d'Europe centrale.

 

La deuxième instrumentalisation est de type économique. Ici, les allemands mettent en oeuvre une stratégie très particulière d'adaptation à la libéralisation économique: ils sous traitent leurs activités industrielles à bas salaire en Europe centrale. Il s'agit d'une stratégie de désinflation compétitive. L'Allemagne s'est en fait retournée avec cette stratégie contre ses partenaires occidentaux depuis 2003. Ceux-ci utilisent aussi l'Euro et quand l'Allemagne baisse le coût du travail par la délocalisation, les pays d'Europe occidentale ne peuvent répondre par la dévaluation. Depuis 2003 on constate une augmentation du déséquilibre de la balance commerciale France/Allemagne. Todd voit là une stratégie consciente de la part de l'Allemagne, qui avec ces gains ne peut pas concurrencer des pays comme la Chine, mais bien la France et d'autres pays occidentaux.

Cette stratégie économique aggrave la mauvaise perception que l'Europe de l'Ouest a de l'Europe centrale. Cette zone est identifiée à une région dont le fonctionnement contribue à la baisse du niveau de vie en France. Emmanuel Todd rappelle la vision négative des pays d'Europe centrale au moment du Traité constitutionnel de 2005, symbolisée par cette image du « plombier polonais » qui allait venir nous voler nos emplois.

La compétition économique apparaît comme une agent de dislocation de l'unité européenne. Les nouveaux entrants (Pays d'Europe centrale) jouent malheureusement le rôle de l'accusé dans le procès. Or, les bénéfices sont très mesurés pour ces pays. La vitesse de rattrapage économique n'est globalement pas bonne pour eux. De toute façon, c'est le jeu de la globalisation: chercher des coûts salariaux moins élevés pour dégager plus de profit. Mais cet avantage ne subsiste que s'il n'y a pas de rattrapage. S'il y a rattrapage, on délocalise.

Ce monde de la globalisation supposé ouvert aux échanges pacifiques est en fait violent et fait ressurgir le critère de la taille des nations. Les petits pays s'effondrent, il y a une hiérarchisation des pays d'Europe. Il n'y a pas de problème européen, mais bien un problème allemand. Et l'Europe centrale est une pièce du jeu allemand.

 

Prospective: conséquences possibles pour la France et la Hongrie

 

Todd entre ensuite dans la partie prospective. Il soutient que la France, se voulant, « brillant second de l'Allemagne », exerce une sorte de « collaboration » dans le domaine économique. Car il y a en France une « névrose allemande »qui pousse à l'imitation de ce pays. Or, la collaboration pacifique est impossible. Et la France ne sera jamais l'Allemagne. L'Euro n'est qu'une expression de rapports de force entre pays. Lorsque les dirigeants européens augmentent le taux d'intérêt de la dette grecque à 25%, il s'agit de maintenir ce pays dans l'esclavage. On va vers un conflit avec l'Allemagne au sujet de l'euro. La solution préconisée par Todd serait un protectionnisme à l'échelle européenne, mais il est probable aussi qu'on assiste à une explosion de l'Europe.

Dans ce cas, l'avenir de la France serait de se tourner vers les pays de la Méditerrannée, plus proches historiquement et culturellement de la France que l'Allemagne (francophones, structures familiales de plus en plus proches). A noter, le projet de l'Union méditerranéenne initié par la France a été logiquement combattu par l'Allemagne. Il est au point mort actuellement.

 

Les conséquences pour l'Europe centrale ne seront pas bonnes. Il y aurait retour à une variété de l'Europe centrale du 19e siècle, c'est à dire à de petites nations coincées entre l'Allemagne et la Russie. Censées être au coeur de l'histoire après la chute du mur elles risquent de se retrouver dans la simple gestion de leurs relations avec l'Allemagne et la Russie. Cette vision est à nuancer par d'autres indicateurs (sanitaires/taux de mortalité infantile..) qui peuvent être bons. La Hongrie a par exemple actuellement un taux de mortalité infantile inférieur à celui des USA.

 

Questions

 

A la question de savoir si cette stratégie n'aurait pas de conséquences négatives pour l'Allemagne elle-même, Todd répond par l'affirmative. Si cette stratégie a de bons résultats à court terme elle détruira l'Allemagne à long terme car elle implique la baisse du niveau de vie et l'implosion économique. Il y aura contraction du marché.

Todd précise qu'il ne s'agit pas de diaboliser l'Allemagne, à qui l'Europe doit son développement. Avant la révolution industrielle, il ne faut pas oublier que des vagues d'alphabétisation sont parties de l'Allemagne à partir de la Réforme protestante. Cette spécialisation industrielle n'est pas mauvaise en elle-même: l'Allemagne serait bien placée pour assurer la responsabilité d'un protectionnisme européen. S'improvisant président de la République, Todd soutient qu'il aurait fallu faire à l'Allemagne une « offre qui ne se refuse pas »: soit le protectionnisme, soit la sortie de l'euro. La deuxième variante représenterait la mort économique de l'Allemagne.

 

Interrogé sur la disparition des Etats nation au profit des forces financières type fonds de pension, Todd rétorque que ces forces ne peuvent agir qu'à cause du manque d'action des Etats et nations. Mais ils sont toujours là. Il s'agit d'une lutte idéologique. Todd souhaite que les élites reviennent à la raison. Il pense que les idées sont effectivement au pouvoir et que nous allons assister à des changement rapides car le niveau de vie baisse.

 

Une personne demande à Todd dans quels domaines et sur quelle base la France et la Hongrie pourraient coopérer. Il répond que cela pourrait être dans le domaine des conceptions économiques, par exemple sur le thème du retour du droit de l'Etat à taxer les multinationales, la France et la Hongrie pourraient s'entendre. Plus de point communs existent entre les deux pays que ce que l'on peut penser à première vue. Les structures familiales sont similaires et il existe une tradition patriotique assimilatrice en Hongrie comme en France. Todd estime que la Hongrie est « une France qui n'aurait pas eu de chance » et que le projet de la grande Hongrie est venu trop tard dans l'histoire. Mais il conclut sur la possibilité d'une collaboration dans la transformation des structures économiques et politiques.

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